Notre voyage nous a mené en Asie du Sud-Est, et notamment au Laos. Peu connu du grand public, le café laotien est pourtant, selon les connaisseurs, un des meilleurs café au monde. Il est principalement produit sur le plateau de Bolaven au Sud du Laos, dont la ville principale est Paksong. Nous y avons rencontré le fondateur de Jhai Coffee House, (autoproclamé) premier torréfacteur-café philanthropique. Un modèle économique et social innovant qui nous permet de croiser initiative durable et aventure culinaire.
Le QQOQCP
- Qui ? Tyson James et son compère laotien Jacky Thao
- Quoi ? Premier torréfacteur et café philanthropique
- Où ? Paksong, sur le plateau de Bolaven au Laos
- Quand ? 2006 après la banqueroute de la coopérative de café initiée en 2000
- Comment ? Permettre aux producteurs membres de la coopérative d’approfondir leurs connaissances sur le café, sa culture, sa vente, etc. et les aider à vendre leur production au-dessus des prix du commerce équitable ; Réinvestir les bénéfices réalisés par Jhai Coffee House (un café situé à Paksong) dans la communauté en leur permettant d’avoir accès à une eau de qualité ; Proposer des ateliers d’hygiène pour les enfants
- Pourquoi ? Tyson James souhaitait aider la communauté, c’est ainsi que pour réduire les ravages sanitaires liés à l’eau, il a voulu associer son amour du café à l’accès à l’eau
Nos questions à Jhai Coffee House
Pour réaliser ce portrait, nous avons interrogé Tyson James autour d’une tasse de robusta à la Jhai Coffee House – le café situé à Paksong.
- Le développement durable, pour vous, en quelques mots ? Répondre à une demande locale, le tout avec un soutien et une implication de la communauté. Financièrement parler, la durabilité consiste à de pas dépendre d’aide extérieure afin de développer des projets locaux.
- En quoi pensez-vous contribuer au développement durable ? Tout d’abord sur une approche à long terme pour les générations futures avec la mise en place de notre programme d’éducation et d’accès à l’eau potable. Sur la contribution actuelle, il y a aussi la coopérative qui permet d’augmenter les revenus des diverses familles.
- Quel(le) projet / action aimeriez-vous voir émerger dans votre communauté / environnement proche ? Peut-être un lieu de rencontres qui permettrait de créer de réels liens entre les locaux et les « expatriés ».
- Un sujet que vous aimeriez que nous traitions ? Le sujet du « vote par l’argent », c’est-à-dire de choisir la qualité plutôt que la quantité mais surtout trouver un coffee-shop près de chez vous et qui connaît réellement ses fournisseurs de café !
- Un défi pour nous ? Oui, deux ! Primo, vous séparer pour une période définie et voir les effets sur votre couple. Secondo, tenir un cahier de vos rêves … Noter tout ce qu’il vous passe par la tête lorsque vous vous réveillez en pleine nuit !
On vous en dit plus …
Alors que Tyson James décide de se lancer dans le café au Laos, il veut déjà développer un modèle de business orienté vers la communauté. Après une tentative ratée axée autour de l’éducation, il se tourne vers l’accès à l’eau afin d’aider les communautés à réduire les maladies, souvent graves, touchant les enfants.
Quand un rêve devient réalité …
Un peu d’histoire avant tout. Le Laos a été le théâtre de nombreux bombardements durant la guerre du Vietnam. En effet, les États-Unis ont largué plus de 270 millions de bombes à fragmentation entre 1964 et 1973 … soit une bombe toutes les 8 minutes pendant 9 ans ! Depuis, le pays tente peu à peu de se (re)construire.
Après ses études, Tyson obtient un bon boulot à New York. Mais, il décide rapidement de plaquer sa vie et son travail pour partir backpacker en Asie du Sud-Est. Un billet aller simple plus tard, le voilà en Asie. Il découvre le Laos dont il tombe littéralement amoureux. Il s’y sent extrêmement bien et souhaite y rester pour un petit bout de temps.
Une nuit, il fait un rêve qui va changer sa vie : il se voit aider les Laotiens à sortir de la pauvreté en exploitant une de leur ressource locale, le café ! Cette même nuit il griffonne les bases d’un business-plan dans son carnet de voyages. La machine est lancée … C’était en 2009 !
Il rentre aux États-Unis et lance la vente de café du plateau de Bolaven. Les bénéfices servent alors à financer des livres offerts aux écoles. Malheureusement, les livres ne font pas sensation. Tyson ne s’obstine pas, reconnaît son échec et cherche un autre moyen pour apporter son aide dans cette région délaissée des ONG.
Après des années de guerre, le Laos peine toujours à se développer contrairement à ces voisins Thaïlandais et Vietnamiens. L’absence d’accès à la mer ne facilite pas non plus le commerce et la création de richesses. Dans ce contexte, les infrastructures de base ne sont pas encore pleinement déployées sur le territoire et le simple accès à une eau potable est souvent un luxe. Bon nombre de villages ne disposent pas de puits collectifs. C’est donc une eau souillée qui sert à la boisson et à l’hygiène d’une grande majorité de Laotiens, notamment sur ce plateau de Bolaven. Or, l’eau, lorsqu’elle est souillée, est porteuse de maladies pouvant engendrer des maladies plus ou moins graves et surtout des diarrhées chez les enfants – 2ème cause de mortalité infantile dans le pays. C’est sur la base de ce constat que Tyson décide de placer ses efforts dans le développement de l’accès à l’eau potable dans la région où est produit le café qu’il aide à commercialiser.
Du café biologique à la source, la Jhai Coffee Farmers Cooperative
En plus d’être situé sur place et de proposer aux touristes de découvrir les plantations de café des membres de la coopérative, la Jhai Coffee House achète son café directement à cette dernière. La Jhai Coffee Farmers Cooperative existe depuis 2000. Elle a déposé le bilan en 2006 et a été relancée sur des bases plus durables depuis.
Jhai Coffee Farmers Cooperative est une coopérative regroupant plus de 2 000 producteurs de café sur le plateau de Bolaven.
À la source du café
Les membres de la coopérative (2 240 familles) sont répartis sur un large territoire regroupant 68 villages du plateau de Bolaven, au Laos. La JCFC est aussi la seule et unique organisation de ce genre au Laos. En effet, sur le plateau, la majeure partie des producteurs ont une production familiale. Leur but est de vendre leur café à un prix qui leur paraît juste sans trop de soucier du reste. Bref, pour eux, le café est une activité comme une autre. Mais ça, c’était avant.
Car, Jhai Coffee House accompagne et forme désormais tous les producteurs membres de la coopérative aux :
- mécanismes du marché du café et de son potentiel
- bienfaits d’une culture raisonnée et biologique
- bénéfices d’une récolte manuelle au juste moment (ni trop tôt, ni trop tard)
Le but étant d’accroître la qualité de leur café et de meilleurs revenus (plus élevés et plus stables).
Au-delà du commerce équitable
Le café produit sur le plateau de Bolaven est, d’un point de vue de la qualité des grains avant torréfaction, bien au-dessus de la qualité moyenne mondiale. Or, les producteurs ne vendent pas leur café au prix qu’ils pourraient en tirer, souvent par ignorance du contexte international. Par le biais de la coopérative, la Jhai Coffee House aide les producteurs à vendre leur café à un meilleur prix, 25 % plus élevé que le standard préconisé par Fair Trade (organisation de commerce équitable).
De leurs côtés, Tyson et Jacky accueillent les touristes dans leur café de Paksong. Ils proposent des initiations à la culture, la torréfaction, la préparation et la dégustation du café. Ils torréfient eux-mêmes et artisanalement celui qu’ils servent aux clients de passage. L’odeur, l’aspect, le son du cracking ou encore le toucher sont autant d’aspects sur lesquels Tyson et Jacky s’appuient pour contrôler la torréfaction.
Ce sont les bénéfices engendrées au café qui servent ensuite à financer les projets d’aide locaux.
Un modèle innovant entre café et accès à l’eau
Comme nous venons de le voir, la base du concept est le café, mais le modèle économique de Jhai Coffee House est particulier et innovant pour les raisons suivantes.
Café de qualité et biologique
Au-delà des formations proposées aux producteurs qui leur permettent d’accroître la qualité de leur café, Jhai Coffee House plaide pour l’agriculture biologique, que ce soit pour la qualité du produit final, pour la préservation de l’environnement et de la santé des habitants de la région ou encore pour limiter la dépendance des agriculteurs à des produits onéreux.
Accès à l’eau et à l’hygiène
Des champs à la cafetière, l’eau est un ingrédient indispensable à la préparation d’un bon café. Elle est aussi indispensable aux quotidiens des hommes et des femmes que ce soit pour la boisson, la cuisine ou l’hygiène. Or, sur le plateau de Bolaven, la majorité des habitants n’ont pas accès à une eau de qualité, mettant en danger leur santé, et plus particulièrement celle des enfants.
L’ensemble des bénéfices réalisés par les ventes de café à la Jhai Coffee House est investi pour le bien-être de la communauté en leur offrant un accès à l’eau potable :
- construction de puits équipés de pompe manuelle
- mise à disposition de filtre en argile et argent (produits localement), rendant l’eau propre à la consommation
Selon Tyson, une grande responsabilité est mise dans les mains de personnes souhaitant aider leur prochain. Il est important de ne pas infantiliser les populations, de ne pas leur imaginer de besoins qu’ils n’ont pas (du fait de notre perception occidentale) tout en les faisant participer au projet – concrètement et/ou financièrement – pour obtenir leur adhésion.
C’est pourquoi, afin de permettre à la communauté d’être les décideurs de leur changement, il leur est demandé de contribuer à hauteur de 15% pour chaque puits et pompe installés et de 50% pour les unités de filtration d’eau. Jhai Coffee House souhaite briser le cycle de la dépendance à la charité et créer un sentiment d’appartenance et de fierté sur le développement de la communauté.
Créer un accès à l’eau potable ne serait pas efficace si cela ne venait pas avec un travail d’éducation des jeunes et des moins jeunes aux règles élémentaires d’hygiène. C’est pourquoi, Jhai Coffee House organise également des ateliers notamment dans les écoles pour expliquer tous ces petits gestes simples mais tellement efficaces qui peuvent éviter des contaminations en série.
Notre point de vue
Nous avons passé un agréable moment à découvrir l’activité de Jhai Coffee House développé par Tyson et Jacky. Ce beau concept qui mêle à la fois le côté « aventure culinaire » du café avec « l’expérience durable » en permettant un accès à l’eau potable et une éducation de tous aux gestes quotidiens d’hygiène élémentaire.
Pour nous, le concept philanthropique de Jhai House Coffee est donc :
- un concept innovant et digne de l’économie dite solidaire
- un projet technologique également qui permet l’installation de pompes et un accès à l’eau potable
- l’aspect philanthropique permet une stratégie dite « win-win » en permettant à Jhai House Coffee de poursuivre son activité et en privilégiant les revenus de la communauté
Bref, ce projet devrait servir de modèle à bien d’autres initiatives à travers le Monde et en France. Une stratégie gagnante pour tous sans recherche impérative du profit à tout prix …
Vous voulez plus d’informations ou vous souhaitez vous y rendre, aller directement sur le site de Jhai Coffee House !
Que pensez-vous de ce concept éthique de café ? Pensez-vous que cette initiative soit transportable dans d’autres pays ? Et vous, connaissez-vous un café qui connaît ses producteurs ?
Ce portrait vous a plu ? Vous souhaitez que l’on interview une personne menant un projet en lien avec le développement durable ? N’hésitez pas à nous laisser des commentaires, nous sommes à votre écoute !